NON AU PROJET DE REFORME DE LA MEDECINE DU TRAVAIL

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> à
> Monsieur Eric WOERTH
Ministre du Travail de la solidarité et de la fonction publique
127 rue de Grenelle
75007 PARIS
Bourg en Bresse, le 17 JUIN 2010
Monsieur le Ministre,
Vous êtes en charge du ministère du travail depuis quelques mois et vous n’êtes pas sans savoir qu’un projet de réforme de la santé au travail est en cours.
La santé au travail des salariés a été confiée aux médecins du travail par la loi de 1946. Le cœur du métier de la médecine du travail, construit autour de cette loi et de la déontologie , consiste en l’accompagnement des personnes en souffrance et la mission de veille et d’alerte concernant les atteintes à la santé dues au travail.
Une réforme a déjà eu lieu en 2004 sous prétexte de pénurie médicale. Cette dernière, parfaitement réversible, a en effet augmenté la charge des médecins et diminué de facto la périodicité des visites médicales. Pourtant, au lieu d’entériner la situation, on pourrait stimuler recrutement, promotion et formation de médecins du travail indispensables à la prévention des maladies au travail.
On nous dit que vos services vont poursuivre dans le sens d’un projet en contradiction avec les études et avec les chiffres alarmants récemment publiés sur les cas de souffrance au travail.
Nous ne pouvons croire que vous allez poursuivre dans la logique gestionnaire et dans le seul intérêt des employeurs, couvrir leur responsabilité en matière de gestion des risques, alors qu’il y a urgemment besoin de transformations qui soient favorables à la santé des salariés et que celle-ci n’a jamais été aussi dégradée depuis ces 15 dernières années.
Le projet que le Medef veut imposer depuis 2009, contre l’avis de 8 syndicats sur 8, et que M. Darcos, votre prédécesseur, envisageait de reprendre, prévoit, entre autres, l’intégration d’infirmières dans les Services de Santé au Travail. Nous sommes favorables à l’entrée des infirmières si elles viennent étoffer les équipes mais pas si cela rentre dans une logique comptable où elles viennent remplacer les médecins, ce qui serait une régression. Les médecins sont qualifiés et protégés, pour exercer leur mission avec une indépendance qui d’ailleurs devrait être confirmée davantage au plan juridique et pratique. Ce ne serait pas le cas des autres acteurs y compris des infirmières. Cela contribuerait à éloigner le médecin de la parole des salariés dans une pur e logique gestionnaire que les services de santé au travail (SST) sont déjà en train d’exploiter avant que la loi ne soit promulguée.
Toute médecine de prévention réelle au travail exige qu’on garantisse une périodicité annuelle de la « visite » avec le médecin dont l’indépendance est la clef de l’efficacité. Or on est passé à une visite tous les 2 ans et le Medef propose un espacement à 4 ans, ou 3 ans. Aucune médecine de prévention n’a plus de sens dans ce cas. Des « secteurs » seraient considérés comme « à risques » et d’autres pas : or les risques cardiaques et vasculaires aggravés par l’intensité de la productivité, le stress, la souffrance au travail, les « risques psycho sociaux », concernent aujourd’hui TOUS les secteurs d’activité et ils tuent bien plus, désormais, que les coups de grisou et les machines dangereuses. France télécom est une entreprise à risques comme la sidérurgie et le bâtiment.
Alors que les médecins du travail dénoncent, depuis des années, les insuffisances en matière de prévention, et la perversion de la gestion des salariés « par l’aptitude », le projet du Medef qui semblait repris par M. Darcos, aggrave la situation en prévoyant une aptitude encore plus sélective et donc anti déontologique.
Il s’agit d’une question grave de santé publique et peu importe les partis-pris partisans, les pouvoirs publics doivent favoriser la santé des salariés en péril, imposer aux entreprises de la prendre davantage en compte, sinon il s’agit d’un profond déni de respect des humains au travail et de démocratie.
L’organisation des activités des acteurs des SST sous la tutelle directe du patronat, prévue par le projet gouvernemental qui circulait jusque là, consisterait, ni plus ni moins à installer les SST sur un mode de fonctionnement encore pire que le sinistre Comité Permanent Amiante dans lequel les acteurs anesthésiés par l’emprise patronale n’ont pas rempli leurs rôles, ce qui a contribué à la survenue du scandale que l’on connaît. On a vu à France télécom qu’il faut des institutions indépendantes des employeurs pour protéger la santé au travail, avec les médecins du travail, et les droits, avec les inspecteurs du travail.
Au final, le projet qui circule est en contradiction avec le code de déontologie inscrit dans la loi.
Il faut savoir qu’il y a un ample mouvement de professionnels et de citoyens contre ce projet, entre autre, celui que nous avons initié concerne une pétition regroupant 20 000 signataires dont 1100 professionnels en santé au travail et inspecteurs/contrôleurs du travail, qui sont terriblement inquiets des orientations d’une réforme qui vise à affaiblir encore plus l’authentique médecine du travail. La démédicalisation de la seule spécialité dont l’objet est le lien entre santé et travail serait bien la mort de toute réelle prévention en santé au travail.
Monsieur le Ministre, il est évident que la santé au travail, trop longtemps en souffrance, a besoin d’une très grande réforme, ce qui fera faire un grand bond en avant à la santé publique et traitera en profondeur les dossiers lourds comme la question des inégalités au travail de santé et la question du travail des séniors Mais pour cela les fondamentaux sont connus, et l’urgence est d’aller dans le sens de l’indépendance des acteurs de la santé au travail, de leur nombre et de leur qualification. Pas de reprendre un projet de contre-réforme qui s’avérerait catastrophique. Le comble du cynisme serait de coupler cette annihilation d’une prévention indépendante du patronat , seule garante de l’efficacité , au détournement de l’activité des médecins du travail & agrave; des fins de tri et de sélection des salariés comme cela est prévu dans la réforme des retraites ,alors que cela ne fait nullement partie des missions des médecins du travail qui sont tournées uniquement vers la prévention et l’accompagnement de l’humain dans le sens de son épanouissement. Tout serait alors prévu pour que les médecins ne s’occupent plus de santé au travail.
Nous souhaitons que vous entendiez notre message et que vous receviez une délégation des initiateurs de la pétition des 1100 acteurs de santé au travail et des inspecteurs et contrôleurs du travail qui ont rassemblé 20 000 signatures en ce sens.
> Pour les initiateurs de la pétition,
  • Gérard Filoche , inspecteur du travail ,Fondation Copernic
  • Willy Pelletier , Fondation Copernic
  • Docteurs Cellier, Chapuis, Chauvin, Delpuech, Devantay, Ghanty, Lafarge , médecins du travail, 41 Bd Voltaire 01000 Bourg en Bresse