En 2008, après 3 ans de négociation, 12 critères d’exposition à la pénibilité du travail sont établis par les syndicats de salariés et d’employeurs. La pénibilité qui affecte de façon irréversible la santé et l’espérance de vie des salariés est distinguée des risques organisationnels ou « psycho-sociaux ».
Contraintes physiques : 1/ Manutention et port de charges lourdes ; 2/ Contraintes posturales et articulaires 3/ Vibrations mécaniques.
Environnement agressif : 4/ Exposition à des agents chimiques dangereux ; 5/ Activités exercées en milieu hyperbare ; 6/ Exposition à des températures extrêmes et aux intempéries ; 7/ Exposition aux bruits intenses ; 8/ Exposition aux rayonnements ionisants.
Contraintes liées aux rythmes de travail : 9/ Travail de nuit ; 10/ Travail alterné, décalé ; 11/ Longs déplacements fréquents ; 12/ Gestes répétitifs, travail de chaîne, cadences imposées.
Le patronat maintient une approche individuelle et médicalisée de la pénibilité. Il ne propose qu’un dispositif d’aménagement de fin de carrière financé par la solidarité nationale et en partie par les salariés. Cette posture rend impossible la signature d’un accord.
2 – En 2010, sous la présidence Sarkozy, la réforme Fillon des retraites reprend la conception patronale de la pénibilité. La loi du 9 novembre 2010 établit un dispositif médicalisé pour la pénibilité. Le dispositif de prévention diminue les critères d’exposition de 12 à 10 facteurs. Les expositions aux rayonnements ionisants et les longs déplacements fréquents sont éliminés.
Le dispositif de compensation est individuel, médicalisé et très restrictif, quelques milliers de départs seulement ayant eu lieu à ce titre depuis 2011. Il ne permet qu’un départ à 60 ans, à la condition d’avoir 17 ans d’exposition entre 10% et 20% de taux d’incapacité, et sans condition de durée à partir de 20% de taux d’incapacité. Le financement est essentiellement assis sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale.
3 – La réforme des retraites de 2014 introduit enfin le principe d’un départ anticipé en compensation de l’exposition à des facteurs de pénibilité. Mais elle conserve l’essentiel des dispositions antérieures, ce qui fragilise dès l’origine le dispositif, et prépare les reculs actuels.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) articule prévention, formation et reconversion de carrière, départ anticipé ou aménagement des fins de carrière, pour les salariés pour lesquels l’exposition n’a pu être éliminée, ce qui correspond à la logique développée par la CGT. Il rompt avec une approche médicalisée.
Par contre de multiples restrictions vident largement le C3P de son sens.
C’est un système par points, qui rend équivalents les droits acquis à formation et reconversion professionnelle, les droits à aménagements de fin de carrière et les droits à départ anticipé. Il interdit l’utilisation des 20 premiers points pour un départ anticipé ou un aménagement de fin de carrière. Il ouvre la porte à un compte personnel d’activité où tous les droits acquis seraient transformables en un autre droit par le salarié. Ce n’est pas la conception de la CGT avec le nouveau statut du travail salarié, assis sur des garanties collectives renforcées, et de la portabilité individuelle des droits.
Le C3P ne prend pas en compte les pénibilités déjà subies, et aucune mesure de réparation des salariés déjà exposés n’est prévue, en dehors du doublement des points pour les salariés nés avant le 1er juillet 1956. Par exemple les salariés exposés de la construction ou les salariés soignants du secteur privé, majoritairement féminins, ne bénéficient toujours pas d’une mesure générale de départ anticipé.
Les taux de cotisation des entreprises sont faibles et ne financent que les premières années d’un dispositif le plus restrictif possible de ce fait : 0,01% pour toutes les entreprises, et si des salariés sont exposés 0,2% pour une exposition et 0,4% pour plusieurs. Le principe d’une incitation financière à la diminution des expositions à la pénibilité des salariés, que la CGT soutient, est cependant inscrit dans la loi.
Les critères d’exposition sont maintenus à 10. Les seuils sont trop élevés, supérieurs à ceux du code du travail, rajoutant de la complexité et excluant de nombreux salariés du C3P. Les multi-expositions, impactant la santé de façon cumulée, ne sont pas prises en compte. Au-dessus des seuils elles ne le sont que pour deux critères au maximum. De plus les salariés précaires ayant un contrat de moins d’un mois sont exclus du dispositif.
La mesure de l’exposition est individuelle, multipliant les difficultés de recensement des expositions et les risques de sous-déclaration. La CGT a toujours jugé plus réaliste une approche par métier et par branche professionnelle, permettant un recensement dans un cadre collectif. Une fiche individuelle de suivi des expositions était prévue et a été supprimée. La CGT est favorable à une fiche individuelle de suivi mais élaborée dans le cadre collectif du métier ou de l’emploi-type exercé.
Suite aux critiques du patronat, le gouvernement a ouvert la possibilité de référentiels de branche par métiers et emplois-type, ce qui valide les critiques de la CGT. Le MEDEF et la CPME ont tout fait pour retarder le plus possible ce travail d’élaboration.
L’entrée en vigueur des critères ainsi que le niveau des cotisations ont été étalés dans le temps et plusieurs fois modifiés.
2017 : le compte pénibilité semi-enterré
En juillet 2017 le gouvernement Philippe annonce une réforme du C3P dans le cadre des ordonnances sur le code du travail, au 1er janvier 2018. Il s’appuie sur les fragilités du C3P pour céder au patronat.
Il légitime la conception médicalisée et individualisée du patronat en revenant pour 4 critères sur 10 à la loi de 2010 : manutention de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques. Un départ anticipé ne serait possible qu’en cas de maladie professionnelle avec un taux d’incapacité permanente supérieur à 10%. C’est le remplacement d’un dispositif global de réparation par une nouvelle forme individualisée de départ pour handicap, une fois les dégâts sur les salariés advenus.
De plus le gouvernement mettrait fin à toute forme d’incitation financière à la diminution de l’exposition à la pénibilité, en supprimant les cotisations spécifiques compensant aux caisses de retraite le coût des départs anticipés. Le coût du dispositif serait transféré à la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
C’est une double bonne affaire pour le patronat :
– il continue à privatiser les bénéfices en socialisant les pertes, en l’occurrence les dégâts sur la santé des salariés,
– il valide idéologiquement sa conception de la pénibilité : les salariés sont tous différents devant la santé et on ne doit prendre en compte la pénibilité qu’une fois la maladie advenue.
C’est d’un véritable abandon pratique et idéologique d’une politique de prévention ambitieuse dont il s’agit.
L’individualisation du compte pénibilité, une logique de seuils élevés, le refus de faire payer aux responsables des expositions le coût de ces expositions finit par produire ses effets : l’abandon d’une politique de prévention et de réparation pour la moitié des critères d’exposition, et la prise en charge financière par l’ensemble des salariés et des entreprises, même celles qui seraient vertueuses du point de vue de la santé au travail.
Ce que veut la CGT :
Les salariés doivent avoir accès à une retraite en bonne santé. La double peine d’une vie plus courte avec une santé dégradée est inacceptable.
Pour la CGT, l’amélioration de la santé au travail est essentielle et a des effets bénéfiques non seulement pour les salariés mais pour la société dans son ensemble. Le coût du mal-travail est exorbitant. Une plus grande participation des salariés à l’économie, non seulement par leur présence mais par leur investissement et par une meilleure qualification, est favorable à la création de richesse dans le pays, et à un meilleur équilibre des comptes de la protection sociale.
Pour la CGT la mise en protection sociale des salariés est d’abord un investissement avant d’être une dépense. Exonérer les entreprises de leur responsabilité vis-à-vis de la santé du monde du travail est un contre-sens économique et social.
La CGT revendique une prise en compte de la pénibilité qui parte de la réalité du monde du travail, et qui permette de faire reculer très fortement les expositions à la pénibilité, et les dégâts parfaitement connus et attendus sur la santé qu’elles provoquent.
La CGT revendique une mesure de justice pour les salariés déjà exposés pour l’essentiel de leur carrière professionnelle, avec des mesures de départs anticipés dans des métiers parfaitement connus.
La CGT revendique une prise en compte collective de la pénibilité, en s’appuyant au plus près de la réalité du monde du travail soit sur les référentiels de branche déjà élaborés par métiers et emplois-type, soit sur les nombreux dispositifs spécifiques (dockers, électriciens et gaziers, transports routiers,…).
Pour la CGT le monde du travail est un, et l’ensemble des dispositifs de reconnaissance de la pénibilité doivent reposer sur des critères comparables, être pris en compte dans un cadre collectif, au plus près des métiers et des fonctions exercées, et privilégier la prévention pour une amélioration réelle des conditions de travail. Aucune opposition public-privé n’est de mise, seule la dangerosité étant plus spécifique au public (policiers, pompiers,…), et le public étant en retard par rapport au privé sur la prise en compte globale de la santé au travail.
La question des seuils d’exposition doit être revue, non seulement leur niveau mais aussi par une meilleure prise en compte des effets de la multiplicité d’exposition, même à des niveaux en apparence moins forts.
Pour la CGT la prévention et l’élimination de l’exposition à la pénibilité est première, c’est pour cela qu’elle agit pour transformer le travail, sans exclure les possibilités de reconversion professionnelle. L’échec ou l’impossibilité d’éliminer l’exposition doit être compensé avec 1 trimestre par année d’exposition, pour un départ anticipé jusqu’à 5 ans avant l’âge de départ en retraite, ou encore par un aménagement des fins de carrière, comme par exemple un temps partiel payé plein temps.
La CGT, qui n’a pas été consultée par le gouvernement, exige, au regard de l’importance de ces questions, d’être entendue sur ses propositions.
Montreuil, le 18 juillet 2017