Depuis plusieurs années, de nombreux rapports alertent sur la dégradation de la santé mentale des enfants et adolescents, et in fine ses conditions de prise en charge.
Pour citer les plus récents : le 7 mars 2023, le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) adoptait un rapport qui mettait en évidence une sur-médication chez les enfants : augmentation constante des prescriptions de psychotropes (souvent hors AMM c’est-à-dire outre les indications thérapeutiques, posologie, contre- indications, précautions d’emploi ou encore effets indésirables), au détriment des recommandations de prise en charge, c’est-à-dire proposition d’une psychothérapie en premier lieu.
Le 21 novembre 2024, l’alerte est renouvelée¹ : l’écart entre l’augmentation de la demande de soin et les capacités d’accueil, d’accompagnement et de traitement est considérable, avec le même constat que l’année passée : une montée constante des prescriptions de médicaments. Ce rapport pointe même notre région : « les adolescents de la région Grand Est sont les seuls à cumuler à la fois une santé perçue comme dégradée et un risque dépressif plus élevé comparativement aux autres régions ».
Entre temps, on peut également citer l’enquête² menée par le député Louis Boyard début novembre 2024 : 220 000 jeunes ont participé à l’enquête, 75% d’entre eux jugent leur santé mentale mauvaise, voire très mauvaise.
Enfin, le 10 décembre 2024, Santé publique France publiait de nouveaux résultats suite à l’enquête Enabee³ : d’après l’échantillon plus de 8% des enfants de 3 à 6 ans présentent une probable difficulté de santé mentale !
Or, et en particulier chez les enfants les plus jeunes, les difficultés de comportement ou émotionnelles peuvent évoluer rapidement. Le traitement psychothérapique d’un enfant peut s’avérer très rapide, quelle que soit l’obédience du thérapeute. Force est malheureusement de constater l’insuffisance de l’offre de soins pour la jeunesse.
Ce que l’on observe aujourd’hui, notamment en pédopsychiatrie, c’est une prescription médicamenteuse en première intention. En effet, proposer à un enfant seulement 3 à 4 rendez-vous par an, permet de recevoir un nombre considérable de patient (aujourd’hui favorable à la T2A en psychiatrie) mais ne laisse le temps qu’à un renouvellement de l’ordonnance initiale.
Les formations en psychiatrie et en science infirmière prônent une approche du « tout biologique », or les connaissances scientifiques actuelles ne mettent en évidence aucun lien causal entre mécanismes biologiques, diagnostic et traitement dans le champ de la psychiatrie. Les traitements prescrits (antidépresseur ou psychostimulants dans le cas des TDAH) ne montrent qu’une faible efficacité.
Quant aux psychothérapies, elles ne peuvent être proposées à tous puisque le nombre de professionnels ne le permet pas.
L’accès aux Centres Médico-Psychologiques est de plus en plus difficile, la plupart des familles attendent entre 3 et 12 mois avant d’obtenir un RDV. S’il s’agit d’un RDV médical, la réponse sera trop souvent celle décrite plus haut, l’attente en sus. Par exemple, sur le CMP enfants de Vandoeuvre, pour un RDV médical demandé en décembre 2024, il faudra patienter jusque septembre 2025. Les enfants pourront bénéficier d’un RDV plus rapidement auprès d’un autre professionnel (infirmier, éducateur), mais RDV qui restera sans suite, faute de possibilités de prise en charge. Les conditions d’accueil par un psychologue sont elles aussi souvent insatisfaisantes, de plus en plus on remarque des fiches de postes hyperspécialisées tentant d’imposer une orientation de prise en charge à la faveur des thérapies dites brèves, répondant à l’approche du « tout biologique ».
A la CGT, nous dénonçons inlassablement la fermeture des CMP et antennes de proximité, rendant l’accès aux soins toujours plus difficile. Nous dénonçons le manque de lits disponibles pour les situations les plus aiguës, les temps de pédopsychiatres et de psychologues insuffisants, les équipes insuffisamment dotées en professionnels paramédicaux et éducatifs. Pour preuve, un relevé réalisé en décembre 2024 des lits disponibles au Centre Psychothérapique de Nancy (CPN) sur 2 unités d’hospitalisation pour enfants et adolescents (Horizon et Brabois) montrait un taux d’occupation de 99,3% pour l’une et 99,93% pour l’autre ! Autant dire, quasiment jamais de places !
Pour illustrer des difficultés similaires vécues dans le secteur associatif, nous pouvons citer le Centre Médico Psycho-Pédagogique (CMPP) de Pont à Mousson qui a vu sa pédopsychiatre « remerciée », sans aucun préavis, ce qui laisse cet établissement sans moyens médicaux dédiés. Le CMPP de Nancy lui aussi est en difficulté : les postes de psychomotricien, d’ergothérapeute et d’orthophoniste sont vacants… !
Nous regrettons l’absence de professionnels (psychomotricien, orthophoniste, éducateur, psychologue, pédopsychiatre, …) générale à l’offre de soin proposée pour la jeunesse. Car c’est bien d’une équipe pluriprofessionnelle dont ont besoin les enfants en souffrance. Ce type d’équipe garantit en effet une réponse adaptée et efficace permettant à l’enfant de traiter rapidement sa souffrance. Il ne s’agit nullement de chroniciser la symptomatologie mais bien d’offrir une écoute, et donc disposer d’un temps suffisant et d’une liberté de pratique. Si l’application de protocoles permet aux professionnels d’éviter l’angoisse inévitable à approcher la souffrance de l’autre, elle ne permet pour autant pas de créer du lien.
Il est nécessaire de réhumaniser le soin proposé aux jeunes, et pour cela des moyens humains et matériels doivent être mis en place.
Pour la CGT, il est urgent de briser l’engrenage dans lequel les lieux de soins sont entrainés : perte de sens au travail par une surcharge d’activité ou un manque de liberté et de créativité dans sa pratique, métiers de plus en plus en tension, amoindrissement de l’offre de soins, absence de réponse à la souffrance, augmentation de la souffrance…
Il ne suffit pas de créer des plateformes téléphoniques, des services de diagnostic et d’orientation, si de lieux d’orientation il n’en existe pas… Il nous semble bien plus urgent de renforcer les lieux de soin existants, de réouvrir ceux qui ont été fermés ces dernières années que de construire des lieux dédiés aux seuls experts.
Le précédent 1er Ministre, Michel BARNIER, avait juré de faire de la psychiatrie, la grande cause nationale 2025.
Ces mots ont d’ailleurs été repris à de multiples reprises par les représentants du Conseil de Surveillance, de la Direction et de la Commission Médicale d’Etablissement lors de la cérémonie des vœux au CPN le 6 janvier 2025.
Pas question de se contenter de vagues promesses ni de formulations creuses, la CGT entend peser dans les débats parlementaires qui vont reprendre mi-janvier.
La CGT exige une grande loi de programmation pour la psychiatrie avec la mise en œuvre de moyens à la hauteur des besoins.
Le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale 2025 se doit d’être ambitieux, en dépit de l’épouvantail agité sur l’endettement massif de notre pays.
Que renvoie une société qui n’est pas en capacité de mettre les moyens nécessaires pour prendre soin de sa jeunesse ?
La présente alerte est envoyée aux députés et sénateurs de notre département ainsi qu’à la presse.
D’autres alertes suivront, notamment autour de la protection de l’enfance qui s’est mobilisée à de multiples reprises tout au long de l’année 2024. Dans ce secteur également, les annonces de coupes budgétaires dans les financements du Conseil Départemental ont de quoi préoccuper tant les répercussions seront terribles sur les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, de la PMI, du REMM, de REALISE, …)
Nancy, le 9 janvier 2025
Contacts :
Virginie TOUNKARA – animatrice du collectif régional des psychologues UFMICT CGT
Tél : 06-78-00-82-85
Emmanuel FLACHAT – secrétaire départemental CGT Santé et Action Sociale
Tél : 06-10-70-41-48
Sources :
Quand les enfants vont mal : comment les aider ?
Santé mentale, Grande cause nationale 2025 : le HCFEA poursuit ses travaux et renouvelle l’alerte sur l’aide et les soins face à la souffrance psychique des enfants et des adolescents.
Intervention du député Louis BOYARD
Santé mentale des enfants de 3 à 6 ans : santé publique France publie de nouveaux résultats de l’étude Enabee