Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière du 15 octobre 2015 La déclaration de la CGT

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Pour le Gouvernement, un accord majoritaire dans la Fonction publique commence à partir de 49% de signataires. C’est ce qui vient de se produire avec le pseudo-accord Parcours Professionnels Carrières Rémunérations. Suivant cette nouvelle logique, nous ne pouvons qu’en conclure que les accords de Bercy de 2008 sont devenus caducs. Du moins, c’est ce que laisse entendre le passage en force du gouvernement, alors même que Marylise Lebranchu jurait, la main sur le cœur, jusqu’aux ultimes heures de la négociation que l’accord ne s’appliquerait pas s’il ne recevait pas 50% des voix des syndicats. Ce qui était posé comme un principe indépassable le 29 septembre a ainsi été battu en brèche, en un clin d’œil, dès le 1er octobre. Comment croire le Président de la République, lorsqu’il jure, lui aussi, la main sur le cœur, qu’il est très attaché au dialogue social. Le dialogue social ne peut se résumer à des réunions et groupes de travail où la conclusion est « cause toujours. Si tu es d’accord,  c’est tant mieux. Sinon, on passera en force. » Pour clarifier les relations sociales à venir, la CGT aimerait connaître dès maintenant si le Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes envisage d’aborder la déclinaison de PPCR dans le champ de la Fonction Publique Hospitalière avec la même conception du dialogue social que Manuel Valls et Marylise Lebranchu ? Mme Lebranchu a largement communiqué sur les 59% des fonctionnaires d’Etat favorables à l’accord PPCR. On l’a moins entendue sur le fait que  2/3 des fonctionnaires hospitaliers s’y sont opposés.
 
Est-ce du dialogue social quand on laisse entendre que les syndicats ne sont pas représentatifs des salariés ? Non, c’est là encore un problème d’arithmétique. Juste pour rappel, la CGT compte plus de 650 000 syndiqués, ce qui est très supérieur au cumul de tous les partis politiques français même si on inclue le parti socialiste et ses 130 000 adhérents officiels. Avec une participation de près de 50%, le taux de participation aux élections professionnelles est supérieur à bon nombre d’élections politiques, notamment aux taux de participations aux scrutins européens qui nous dictent aujourd’hui pourtant une politique d’austérité.
 
Les attaques sur la représentativité des syndicats sont donc avant tout des attaques contre notre modèle social, avec la volonté d’amoindrir notre capacité de résistance et de proposition alternative. Le gouvernement et les acteurs politiques commettent de lourdes erreurs car ce n’est pas en remettant en cause la légitimité des interlocuteurs qu’on crée les conditions du dialogue social.
 
Nous n’avons pas la même définition de la légitimité. C’est ce qu’on constate quand on voit que le gouvernement n’hésite pas à confirmer l’illégitime Ordre infirmier qui n’a su, depuis 2009, « rassembler » qu’une minorité des infirmiers. Là encore, il y a des problèmes d’arithmétique. Encore une preuve de la logique minoritaire adoptée par le gouvernement. Il faut le dire et le rappeler. L’ordre n’a pas de légitimité. Même si l’adhésion était gratuite, nous n’en voudrions pas. C’est une conception lobbyiste qu’a aujourd’hui le gouvernement. C’est ce que nous avons dénoncé en intersyndicale depuis 2006 et que nous continuerons à dénoncer, comme cette semaine lors du salon infirmier. Nous rappellerons que les syndicats soutenant les Ordres professionnels ne représentent qu’1,01% des voix aux élections professionnelles dans la FPH. Là encore, le gouvernement, par l’action cette fois de Marisol Touraine, est revenu sur ses déclarations initiales en faveur de la suppression. Ça doit être cela la vision du dialogue social affichée par le gouvernement.
 
Nous dirons aussi qu’en renonçant à faire vivre la démocratie sociale, le gouvernement dénie le droit des agents à s’exprimer. Il faut dire qu’il est préférable de ne pas demander leur avis aux agents :
 
C’est vrai qu’avec un ONDAM à 1,75% pour 2016, on connaît déjà l’opinion des agents, avant même de poser la question. Ils savent déjà à quelle sauce ils vont être mangés. Réduction des postes, intensification du travail, dégradation des conditions de travail, fermeture et réorganisations des services… On comprend surtout pourquoi le gouvernement ne veut pas prendre la peine de les solliciter.
 
Avec un ONDAM qui est le plus bas depuis des décennies, le gouvernement fête à sa manière les 70 ans de la sécurité sociale.
 
Sur la Loi Santé, on voit bien qu’elle préfigure un coup de rabot supplémentaire à l’occasion de la mise en place des GHT. A l’instar de ce qui est en train de se mettre en place dans la région Champagne – Ardennes où l’on regroupe en un seul GHT préfigurateur tous les CH du département de l’Aube en une seule entité par l’intermédiaire d’un groupement d’établissement ; ce avant même que la Loi Santé ne soit adoptée…
 
On éloigne les lieux de pouvoir et de décisions des agents, on préfigure les rationalisations de fonctionnement et donc les fermetures de services, les mutations forcées des agents, le maintien de la précarité, l’alignement des règles de gestion et d’organisation du travail sur l’établissement le moins-disant social.
 
La logique actuelle, c’est la dérive autoritaire que nous voyons à l’œuvre au centre hospitalier de L’Aigle dans l’Orne lorsque les agents et même les directions cherchent à faire valoir une logique de service public contre la logique gestionnaire des ARS. Au-delà du secteur public, on voit une sorte d’impunité devenir la règle dans les rapports sociaux, malgré l’allocation de fonds qui sont pourtant issus de la collectivité puisque le financement de ces établissements est assuré par la sécurité sociale.
Financé par la sécurité sociale, les établissements privés ont des comportements inacceptables qui les placent en situation d’impunité sociale. Que dire des salariés de la clinique Gascogne à Auch qui ont dû faire 30 jours de grève pour faire entendre leurs droits. Le ministère ne doit pas laisser ces comportements exister.
 
Nous peinons à comprendre la conception du service public qui prévaut au CH de Montluçon qui, après plusieurs années de plan de retour à l’équilibre, une période d’administration provisoire, et un retour à l’équilibre, avec la souffrance du personnel en prime, voit finalement une partie de son activité transférée à un groupe de santé privé lucratif. Comment les personnels peuvent-ils ne pas se sentir trahis par les promesses des pouvoirs publics ? Comment peuvent-ils garder confiance en la parole donnée ?
 
Avant même sa mise en œuvre, la loi Santé crée un appel d’air pour des réorganisations massives. Il n’y a qu’une seule solution pour éviter le démembrement des établissements et le maintien de services de proximité aux usagers de la santé, c’est de la retirer et de reconstruire un grand service public de santé et d’action sociale reposant sur les besoins des patients et usagers et non sur des logiques financières externes au champ de la santé.
 
Avec les velléités de suppression de 22 000 postes dans notre champ, on comprend aussi qu’il vaut mieux ne pas consulter les agents… Quand on voit la colère liée au désespoir des salariés d’Air France, on mesure également quelle exaspération peuvent avoir les agents de la fonction publique hospitalière qui sont touchés par un plan social multiplié par 9 comparé à Air France. Nous n’arracherons pas les chemises, mais avouons que tout ceci donne drôlement envie de laisser tomber la blouse.

 
Quand on voit la non-reconnaissance des qualifications, on comprend encore la volonté du Ministère de tout verrouiller. Pourtant, les rapports annuels sur l’état de la fonction publique,  montrent clairement qu’en quelques années, le niveau moyen des qualifications de l’ensemble des catégories, A, B et C s’est fortement accru tandis que le pouvoir d’achat a régressé. Le décrochage salarial est patent, amplifié encore quand on regarde les niveaux de formation réellement détenus par les agents. La colère est croissante. La fonction publique n’a jamais été aussi qualifiée et jamais aussi mal payée.
 
C’est toute la problématique qui impacte les professions en luttes actuellement. A commencer par les Infirmiers anesthésistes qui sont venus massivement manifester le 1er octobre dernier (1500 IADE à Paris sur 9000 professionnels malgré les assignations) ne se contenteront plus d’un cycle de groupes de travail. Il faut des réponses maintenant, une reconnaissance des responsabilités, des compétences et des rémunérations à la hauteur.
 
C’est la même préoccupation qui anime les orthophonistes à qui le ministère continue de nier la mise en adéquation des qualifications et du salaire. Ce qui engendre la fuite des professionnels hors des hôpitaux. La profession, dans son ensemble, va-t-elle devoir se mettre en grève générale dans tous les hôpitaux et dans les centres de formation pour enfin être prise au sérieux ?
 
Concernant l’emploi hospitalier dans son ensemble, nous estimons à 10 millions le nombre de jours de dette horaire que les établissements ont contracté envers les agents de la FPH. Cela fait 50 000 emplois manquants cachés dans différents comptes horaires.
 
Il est vrai que le gouvernement n’est pas vraiment intéressé non plus par l’avis des fonctionnaires hospitaliers qui risquent de voir « s’enrichir » le panel des sanctions disciplinaires du 1er groupe par la création d’une sanction de mise à pied de 3 jours. C’est une provocation inacceptable et qui doit rapidement faire l’objet d’un correctif.
 
Le gouvernement aurait du mal aussi à répondre aux questions des agents qui se demandent pourquoi on multiplie les remises en cause de la catégorie active pour les fonctionnaires hospitaliers, alors que, d’après les études remises par le gouvernement lui-même dans le cadre des travaux du Conseil Commun de la Fonction Publique et notamment de l’enquête « conditions de travail », il apparaît que les professionnels qui ont les contraintes les plus fortes, public et privé confondus, sont bien ceux de la fonction publique hospitalière. S’il avait l’occasion de rencontrer les agents qui triment sur le terrain, le ministère aurait du mal à justifier des attaques systématiques sur le périmètre des professions en catégorie active, que ce soit les Auxiliaires de Puériculture ou les Sages-femmes dont les nouveaux cadres statutaires sont venus perturber la reconnaissance de la catégorie active pour les SF du second grade. Evidemment, le gouvernement aurait autant de mal à répondre aux 50% des aides-soignants de plus de 50 ans qui ont un taux d’invalidité.
 
La question de la pénibilité ne doit pas se traiter à la CNRACL, mais bien avec le ministère. Ce n’est pas une question technique de lecture des textes mais bien une question politique à laquelle le gouvernement doit répondre.
 
L’absence de dialogue social fait sens car il est encore vrai que le gouvernement aurait du mal à répondre aux 200 000 agents contractuels qui attendent depuis des années de bénéficier des concours leur permettant d’obtenir le statut de fonctionnaires et un déroulement de carrière (dont 120 000 Aides-soignants et Infirmiers dont on ne peut comprendre que la situation ne soit pas régularisée). Au contraire, on entérine le statut contractuel comme une situation permanente par un décret qui crée un sous-statut pour les contractuels.
 
Au contraire, on annonce la prorogation de deux ans, jusqu’en mars 2018, de la possibilité d’organisation des concours. Ce qui est un aveu d’échec et une preuve du non-respect des lois dans nos établissements. Si l’état d’esprit ne change pas, autant dire que la situation désastreuse constatée dans la FPH va durer, car moins de 10% des contractuels concernés par la loi ANT ont été titularisés ou sont en voie de l’être.
 
Evidemment, le gouvernement ne veut pas non plus un vrai dialogue social sur l’organisation du travail. On laisse le soin aux établissements hospitaliers de remettre en cause les droits des agents, puis on cherche à étendre les mesures à l’ensemble des structures.
 
Quel plus bel exemple de cette logique que ce qui se passe à l’AP-HP depuis des mois sur l’organisation du temps de travail qui pénalise les agents. Pour l’AP-HP, il est urgent que le gouvernement change de cap et reprenne la main en assurant une médiation ministérielle afin de garantir les droits des agents. Pendant que Martin Hirsch essaie de rogner sur le temps de travail des agents ou de l’encadrement, on apprend des attributions scandaleuses des logements qui n’ont fait sourciller personne pendant des années mais dont le traitement par voie d’amendement pourrait exclure ou expulser aussi des retraités de l’AP-HP. Deux poids, deux mesures. Le sentiment d’injustice est croissant. La colère des agents est croissante.
 
Le gouvernement laisse aussi se multiplier voire accompagne les régimes dérogatoires au droit commun comme les organisations du travail sur des rythmes de 12H. Or on sait que cela engendre des risques professionnels décuplés pour les agents et pour les patients. On ne peut même pas prouver les gains liés à cette organisation comme vient de le dire la chambre régionale des comptes à l’hôpital de Mantes-la-Jolie. Nous continuons de dire que l’organisation permanente des services sur  la base d’horaires dérogatoires est illégale.
 
Le gouvernement fait fausse route s’il continue  à ignorer les vraies souffrances des salarié-e-s.  Il n’entend pas les appels des salarié-e-s qui se sont mobilisés les 1er et 8 octobre derniers.  Les agents de nos établissements ont perdu de 100 à 250 euros par mois du fait du gel du point d’indice. Alors osez leur dire qu’il y aura encore des efforts à faire, c’est tout bonnement inadmissible.
 
C’est aussi de dialogue social dont il est question dans notre instance ce jour.
 
Si nous ne souhaitons pas revenir sur la validation du règlement intérieur du CSFPH, nous pensons que nous ne pouvons remplir pleinement notre mission sans moyen de fonctionnement. Il nous semble aussi important, dans les suites de l’accord fonction publique sur l’égalité, que cette question soit intégrée dans l’une des commissions du CSFPH. Il en va simplement de l’application des engagements du gouvernement.
 
Sur le texte à l’ordre du jour sur le droit syndical, la Secrétaire Générale de notre Fédération, Mireille Stivala, y reviendra plus tard dans le déroulement de notre instance.
 
Pour finir, il a été dit au Conseil d’Administration de l’ANFH qu’un décret pourrait être soumis au CSFPH de décembre sur l’indemnité de vie chère, nous souhaitons en avoir confirmation ici.
 
Enfin, pour conclure ce propos, en cette période d’anniversaire de la création de la Sécurité Sociale, nous souhaitons redire combien votre conception de la solidarité nationale s’éloigne des principes qui ont prévalu lors de sa création en 1945.
Ambroise Croizat, figure historique pour notre organisation et figure historique pour la sécurité sociale, disait : « Ne parlez pas d’acquis sociaux mais de conquis sociaux ». Aujourd’hui, la non-écoute des justes revendications des agents hospitaliers et l’absence de dialogue social montrent à quel point votre politique passe à côté de l’essentiel. Ce n’est pas par l’austérité et le refus du dialogue que vous pouvez vous contenter de répondre. Justifier la régression de notre système de santé par la nécessité d’en maîtriser les coûts ne tient pas la route quand on regarde 70 ans en arrière, lorsque la France et l’Europe, ruinées par la guerre, mettait en place le système le plus protecteur que l’humanité avait jamais connu. La politique d’austérité appliquée à l’hôpital ne se justifie pas économiquement au regard de la richesse produite par notre pays. Elle est au contraire sous-tendue par des choix idéologiques liés à la casse de notre système de solidarité. La diminution et la rationalisation de l’offre de soins réduit chaque jour un peu plus la place de l’humain dans nos établissements. La rentabilité a pris le pas sur l’empathie. Or, c’est par l’attention qu’on porte à la prise en charge des plus vulnérables qu’on mesure le niveau d’une civilisation. Le nôtre régresse.