Interview de Bernard THIBAULT Journal Le Monde du 12 septembre 2012

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L’agenda du redressement, présenté par François Hollande le 9 septembre, est-il la marque d’une politique de rigueur ?
Ne jouons pas sur les mots. Un nouveau cap renvoie à deux ans l’aspiration au changement, au motif que le redressement, c’est maintenant. Cela génère beaucoup de déceptions, même si personne ne conteste l’ampleur de la crise. Mais c’est bien parce que celle-ci est majeure qu’elle appelle un débat sur la nature des solutions nationales et européennes pour en sortir. L’agenda du président sera très difficile à faire passer socialement. Du fait des coupes dans le budget de l’Etat, les fonctionnaires qui n’ont pas de progression indiciaire toucheront cette année un salaire inférieur à celui de 2011 ! La précarité et la pauvreté s’étendent partout.
L’efficacité supposée du schéma du président fait débat, en particulier l’objectif prioritaire des 3 % de PIB de déficit public dès 2013. Loin de résoudre la situation, il risque d’accroître le mal. Dans un tel environnement, je ne crois absolument pas à la possibilité d’inverser en un an la courbe du chômage.
 
Vous aviez appelé à voter pour M. Hollande. Faites-vous partie des déçus du hollandisme ?
Ce n’est pas une question de déception. La CGT a été le syndicat le plus impliqué dans les échéances politiques de 2012 sur la base du bilan très antisocial de Nicolas Sarkozy. Nous avons dit que le changement de président de la République était l’une des conditions du changement pour les salariés, sans être une assurance tous risques pour la satisfaction de nos revendications. Le débat reste entier sur la nature des réformes à engager.
On l’a vu, il y a eu deux séquences depuis l’élection de François Hollande : la séquence préparatoire à la conférence sociale des 9 et 10 juillet et la séquence actuelle, marquée par une opération de lobbying du patronat, l’omniprésence gouvernementale à l’université d’été du Medef et la tonalité de l’intervention du chef de l’Etat dimanche. Le gouvernement semble ne pas vouloir prendre de décisions qui fâchent le Medef. Je n’avais pourtant pas constaté que l’organisation patronale avait été une alliée de la gauche…

 
Que pensez-vous du document d’orientation sur l’emploi ?
Les feuilles de route qui encadrent les négociations sociales sont symptomatiques de cette nouvelle séquence. Il faut les apprécier à l’aune des ambitions du candidat Hollande, à savoir faire de la démocratie sociale l’un des leviers de l’action politique. Mais celle-ci ne peut pas être un refuge pour des pouvoirs publics qui renonceraient à agir ou considéreraient que seul ce qui fait consensus doit être appliqué. Or ces feuilles de route ménagent la chèvre et le chou.
Faire reculer la précarité, refaire du contrat à durée indéterminée la norme pour l’embauche, accroître les cotisations des employeurs qui recourent trop aux contrats précaires, à tout cela, nous disons banco ! Mais, en contrepartie, ce document reprend une partie de la théorie patronale qui voit dans les droits des salariés et les obligations des entreprises des pesanteurs et des rigidités. Il s’en tient à une approche qui était celle des accords de compétitivité-emploi.
 
Sur la sécurisation de l’emploi, êtes-vous prêt au "compromis historique" auquel appelle le président ? Ou jouez-vous un accord gagnant (syndicats)-perdant (patronat) ?
Il est toujours imprudent de qualifier un accord avant même qu’il ait été négocié. Sauf à penser qu’il serait déjà rédigé par le nouveau duo de la rentrée, le Medef et la CFDT ! Nous nous impliquerons sans réserve dans toutes les négociations. Le pacte générationnel proposé ne doit pas être uniforme.
Sur la sécurisation de l’emploi, nous récusons l’idée selon laquelle les entreprises ont besoin de plus de souplesse, alors qu’elles font des salariés une variable d’ajustement. La précarité des emplois, qui est énorme, est la première souplesse pour les employeurs. J’y mets aussi les 900 000 ruptures conventionnelles, subies à 80 %, qui sont pour les salariés un vrai marché de dupes. Et l’on exigerait encore plus de souplesse au nom de l’emploi !
 
Qu’êtes-vous prêt à négocier avec le patronat ?
Nous sommes prêts à débattre de la compétitivité. Il faut s’intéresser aux choix de gestion des entreprises, à ce qu’elles font de leurs marges, à leurs efforts d’innovation et de recherche, bien inférieurs à ceux des entreprises allemandes. J’attends toujours un bilan sur l’utilisation des 183 milliards d’aides publiques annuelles… Les entreprises ne peuvent pas revendiquer plus de souplesse sans être réellement coresponsables du parcours professionnel de leurs salariés.
Nous portons la revendication d’une Sécurité sociale professionnelle négociée au niveau interprofessionnel et dans les branches, alors que le Medef ne conçoit le droit qu’entreprise par entreprise. Ces débats sont fondamentaux. C’est pourquoi nous appelons à la mobilisation le 9 octobre sur l’emploi et l’avenir de l’industrie.
 
Le gouvernement se résigne, sur la base du rapport Sartorius, à la fermeture du site PSA d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Qu’en pensez-vous ?
Nous attendons le rapport commandé par le comité central d’entreprise. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on sait que des activités de PSA sont menacées. Pour l’avoir dit, la CGT a été beaucoup critiquée. Bien d’autres entités industrielles sont en danger. La gauche a opté pour le volontarisme avant d’afficher des postures dites plus raisonnables. Mais, sans volontarisme, que sera le redressement productif ? En matière industrielle, l’impuissance publique ne date pas d’hier. Face à des groupes internationaux qui vandalisent des savoir-faire parfois uniques en Europe, les salariés ne comprennent pas que les responsables politiques soient démunis. Il faut rééquilibrer les pouvoirs dans l’entreprise. Le changement, c’est aussi donner à de nouveaux acteurs – les salariés en l’occurrence – des moyens de façonner la société !
 
Vous avez dénoncé le traité budgétaire européen, qualifié d’"antisocial". Etes-vous prêt à demander un référendum ?
Notre objectif principal est de créer les conditions pour une non-ratification du traité par la France, quelle que soit la procédure. Nous sommes au diapason de la Confédération européenne des syndicats. La CGT participera à toutes les initiatives unitaires, sur le plan local.
 
Avec la CFDT, les divergences l’emportent ?
La CFDT compte sans doute sur son statut d’interlocuteur privilégié pour renforcer sa renommée. Nous n’en avons pas besoin, à la CGT, pour être sûrs de notre influence. Il faut accepter des différences d’appréciation, voire des divergences. Faire l’impasse sur elles, ce ne serait pas rendre service aux salariés sur des questions qui les concernent très directement. Nous ne nous refusons pas le dialogue avec la CFDT.
 
Vous avez innové sur votre succession en choisissant la transparence, mais vous n’avez pas été suivi sur le choix de votre candidate. Est-ce un échec ?
Je n’ai pas cherché à innover pour me retrouver dans la situation dans laquelle nous sommes. En ce sens, c’est un échec. La méthode n’était pas répréhensible. Ce qui l’a été, c’est la mise en compétition de plusieurs candidats, ce qui est nouveau et peut-être destructeur. La CGT n’est pas un parti politique ou une association. Elle a vocation à s’appuyer sur l’unité des salariés pour améliorer leur quotidien. Cette conception du syndicalisme est incompatible avec la mise en concurrence de candidats. On ne joue pas à "MasterChef" !
 
Où en est le processus engagé ?
Nous nous emploierons, dans les prochaines semaines, à créer les conditions pour que le comité confédéral national des 6 et 7 novembre puisse élire le futur secrétaire général. Ce devrait être possible, car il n’y a pas de fractures, en interne, sur la nature de notre démarche syndicale.
 
C’est une bataille d’ego ?
En partie.
 
Propos recueillis par Claire Guélaud et Michel Noblecourt